jeudi 30 décembre 2010

Lettres de Guerne à Cioran

J'ai ai eu la curiosité d'aller jeter un œil à l'année 1968 dans les Lettres de Guerne à Cioran, publiées aux défuntes Éditions du Capucin. Le 10 juin 1968, Armel Guerne trouve des accents versaillais pour évoquer les récents évènements de mai: "Nous nous sommes fait de grands soucis de vous savoir un peu trop aux premières loges, avec ce sentiment de rat pris au piège qui dut être un peu celui de chaque Parisien..." Il poursuit par des propos où une singulière lecture de l'histoire le dispute au prophétisme le plus imaginatif: "Pour ne pas rester dans le cadre abusé dans quoi s'enferment les politiciens, je crois que nous assistons et sommes en train de vivre (comme après 36, la rapide mise en place de la 5e colonne par le truchement des soi-disant "réfugiés") à la mise en place "idéologique", mais dans le monde entier cette fois, à l'Est comme à l'Ouest, en Orient et partout, de la 5e colonne chinoise pour la prochaine "conquête" - dont je pense qu'elle devrait survenir vers 1970 ou 71; guère plus tard. Vu dans la seule perspective des jours de l'Apocalypse, tout cela marche joliment! Cela galope même." Rappelons que ces ""soi-disant" réfugiés" étaient les Républicains espagnols fuyant l'avancée des troupes franquistes, qui condamnait nombre d'entre eux à la prison ou à une mort certaine. Sous des oripeaux chatoyants, le thème rebat un lieu commun de la pensée réactionnaire, le complot de l'étranger, et plus précisément l'une de ses variantes, le péril jaune (ourdi peut-être dans les caves de l'ambassade de Chine à Paris?). Dévalant gaiment cette pente, Guerne-le-prophète décèle dans les évènements de Mai 68 l'annonce prochaine de la fin du monde. Bref, la "poussée" de Mai 68 est "la plus sublime entreprise diabolique". Le 19 juin, Guerne avoue "ne pas trouver en soi d'enthousiasmes pour les diarrhées verbales, mentales et sexuelles de cette jeunesse crapuleuse et droguée, aussi moche quand elle révolutionne que lorsqu'elle fait la noce, ou baise, ou saucissonne, toujours sans hygiène et sans choix". "Ces gamins" "n'ont que l'avantage de l'étron frais sur les étrons secs". Et Guerne de demander à son destinataire: "Et le grouillement forcené de tous les asticots judaïques, à partir d'un certain degré de pourriture et de moiteur, qu'en pensez-vous?" On aimerait en effet savoir ce que Cioran aura répondu à de tels propos où l'on reconnaîtra sans peine les métaphores et les obsessions familières de la littérature d'extrême-droite...

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